Histoire d'un garçon, qui représente un tiers de ma vie en cumulé. Nos 20 ans, cette demi-tonne de conneries commises ensemble, la fin des études, notre arrivée conjointe et brutale dans le biotope "travail", le rabotage par le papier de verre de la vie professionnelle, la fatigue, l'impossibilité de dire à qui que ce soit d'aller se faire enculer, la rage, les premiers gestes d'humeur... Au fil des années, l'usure comme on l'appelle, les amis parfois très peu fédérateurs, s'éloigner, évoluer dans des sphères différentes, ne plus être ensemble en fait, avoir du mal à négocier "l'après", savoir cependant qu'on a aimé, et qu'on a été aimée, jouir de ce bonheur, mettre le joli sous boîte hermétique, pour y revenir une fois le "pretty uncool mood" passé.
Et puis un jour, on apprend qu'il expose chez Agnès B, à la rentrée, et on est dans les aigus ("hiiiiiiiii"), fière, on voudrait hurler qu'on le savait, té, que les yeux des gens finiraient par admettre son talent. Alors quand il demande, pas sûr du côté "super bonne idée" du truc, un texte biographique à intégrer au catalogue, on est émotion, on aime bien écrire et puis on maîtrise son sujet, merde.
"Grandir à Beyrouth. Assister au chaos le plus absolu, à l’hystérie des adultes, comprendre très vite les contraintes d’une vie en période de guerre, trouver les refuges. La géographie de la ville et le rythme des bombardements circonscrivent le terrain de jeu de Dem à un espace réduit. Sa mère l’initie au dessin, il ne lâchera plus ses crayons.
Il dessine, découvre l’univers torturé d’auteurs comme Moebius, dévore du Comics au kilomètre, reproduit les silhouettes des super héros, bave devant celles plus dénudées des pépées de Manara.
En attendant de grandir, il joue à la guerre, observe tout et en restitue le fruit en dessinant, ça va du flingue super sophistiqué au monstre lovecraftien. Dem aime aussi les images qui bougent, elles constitueront les fondations d'un univers qui repose sur le second degré et le portnawak : il ingère pendant des heures séries Z, films de kung fu ou zombies et sous séries moyen-orientales kitsch. Les contours d’un travail graphique plutôt dark et biberonné à la sous-culture émergent.
Dem emménage à Paris à l’adolescence et se mange ce que l’on appelle trivialement une grosse claque. Il découvre un autre biotope urbain, d’autres codes, d’autre gens. Hormones en bandoulière, tout ce qui relève d’une culture urbaine testostéronisée sera approché, vécu et restitué par un Dem scotché par toutes les possibilités que recèle Paris. Il bloque sur le métro et découvre le graffiti, qui reste sa seule passion au long cours. Volatile, l’animal a traîné dans les sphères métalleuses, rap , techno ou punk. Sans en arborer les couleurs : organisés en tribus, les gens deviennent cons et ça ne l'amuse pas, il se préfère franc-tireur et cocufie allègrement tous les sous-groupes qu’il intègrera.
Son identité repose sur sa double culture, et pour rester cohérent, il prend un plaisir pervers à ériger le « grand écart » comme style de vie. Il passe en souplesse des quartiers les plus blings aux concerts hardcore, des free parties en forêt à des sessions de tenage de murs, il se dissout dans ses contradictions et découvre au final que cette capacité à évoluer dans toutes les sphères lui permet d’obtenir un champ d’expérimentation illimité. Il ouvre les yeux et se frotte les mains.
A trente ans passés, Dem continue à explorer les sous-cultures et leur théâtre : la ville. Urbain par essence, il continue à trouver ce qui l’inspire en ridant les rues parisiennes et ne s’interdisant aucune influence ou technique. De sa passion graffologique, Dem a retenu la lettre et la soumet depuis plus de 18 ans à des tortures dignes du bondage le plus tordu."
Donc en clair, allez voir cette expo sinon vous développerez une pathologie ridicule des couilles et décéderez dans des souffrances abjectes.
Graffiti, Etat des lieux
Galerie du Jour / Agnès B
Vernissage le 8 septembre, l'expo dure jusqu'au 10 octobre
44 rue Quincampoix - 75004 Paris