lundi 22 février 2010

So what happened to you guys


"J'aurai préféré ne pas", comme dirait l'autre.

Oui mais il est 5H14 et j'atterris ici. On fermera les yeux sur la date cliché : rapport à ce que dans deux jours, j'ai trente et un ans. Marrant comme on se soumet aux dates anniversaire, comme on sacrifie au rituel de l'auto-évaluation annuelle.

Alors dis donc la fille, on dit quoi à 31 ans ?

On dit qu'on essaye de ne pas trop réfléchir à la nécessité de revenir ici. Voui, "nécessité", mais carrément. Mue par. Depuis quelques mois, tourbillon perso et taffologique, sacs, avions, métros, taxis, chez lui, chez moi. On se dit que ça doit être ça, la vie, le mouvement, les jupes qui tournent, la légèreté, oublier l'anniversaire de son filleul, sentir qu'on est beaucoup moins là pour ces autres que l'on aime mais avec qui on ne dort pas, culpabiliser, et puis s'en remettre, rapport à cet égoïsme forcené que l'on développe lorsque l'on est heureux.

Plus de place pour les plages de self-examination. On se rend compte avec effarement qu'on a besoin de se poser, seule, de dire les mots. On aurait vraiment dû faire Lettres Modernes.

On dit qu'on constate qu'on se ruine en baume à lèvres parce que les labiales s'activent beaucoup en ce moment. Un mec qui fait rire, c'est la classe, mais ça coûte cher en hydratation du sourire. On admet cependant que si la présence du susnommé distille beaucoup de joli, certaines problématiques émergent, et d'autres, plus anciennes, ne se dissipent pas. On est pas étonné, on avait juste oublié le goût âpre et persistant de l'angoisse nocturne.

Le déclencheur : on brunchait ce midi, rencontrage de nouvelles têtes, et une appréhension. LA question. "Tu fais quoi, toi, dans la vie ?". Avec les gens qui indiffèrent, c'est très facile, on crache quelques mots clés en "c": cadre, communication, corporate, on prend sa voix grave, on formule des phrases synthétiques et sans appel, et on laisse agir. Généralement ça fonctionne, on est validée, on est parisienne trentenaire, on fait des prez power point, on lit Stratégies, tout va bien.

Mais avec les autres ? On évoque les contours de son activité salariée avec fiel et cynisme, on liste ses clients en simulant la pendaison, langue qui pend tout ça, on explique très vite que ça paie les chaussures de pute et les week-ends à Rome, on dit cependant que tout ça va changer, rapport à ce qu'on a qu'une vie et que bon, il s'agirait d'en faire quelque chose. On sourit très fort (application de baume). On se tord les doigts sous la table. On irait bien courir nue dans les graminées en chantant du Ministry.

Une bonne âme évoque des pistes de sortie de crise : bilan de compétences, formation (année sabbatique dans le Peshawar, changement de sexe, apprentissage de la cuisine Kirghize). On opine du chef, on sait que c'est ça la Vérité. Rha, toute cette énergie qui devrait être mise à définir ce putain de Nouveau Projet Professionnel à Haute Valeur Ajoutée en Kiffance. Enfin identifier l'occupation qui, de 9 à 19h, ne donnera pas envie de s'immerger dans un fût d'alcool au sortir du bureau.

On a du mal à y croire cependant. Ca fait partie des choses folles que les Autres font : passer le permis de conduire, avoir un enfant, contracter un prêt au logement. Projection, assumation de l'âge adulte, définition d'objectifs > identification des moyens à déployer pour les atteindre > goldorak go.

Insomnie.